Chapitre 31


Sombres perspectives


“Niil, je n'aime pas ça.

“Qu'est-ce que tu n'aimes pas ?

“Tout. La tournure que prennent les choses.

“Qu'est-ce que tu veux dire ?

“Tu as entendu Tannder ? Je crois qu'il a raison. Je suis pratiquement prisonnier et on va essayer de me dresser comme un singe savant.

“Tu es fou ! Je ne sais pas ce que c'est qu'un singe, mais personne ne peut te dresser !

“Qu'est-ce que tu crois ? Que des personnages qui sont les maîtres du monde vont faire gentiment ce que je leur demanderai ?

“Mais tu es l'Empereur !

“Peut-être. C'est ce qu'ils disent. Moi, je n'en suis pas du tout sûr.

“Mais, Tannder aussi en est certain !

“Tannder est est un type bien, et il est persuadé de dire la vérité. Et je suis absolument sûr qu'il est totalement loyal. Mais ce n'est pas Tannder qui commande, ici.

“Non, c'est toi.

“Ça, c'est ce qu'on voudrait que je croie. Mais on va me traiter comme un gamin. En fait, c'est ce que je suis. On va me faire des courbettes, me donner du Votre Seigneurie à tout bout de champ, mais on va me dire ce que je dois faire et je ne pourrai même pas donner mon avis. D'ailleurs, c'est plus ou moins ce que Tannder m'a dit tout à l'heure.

“Tu exagères ! Le Premier Sire te traite vraiment...

“Niil, Aldegard est très poli, très attentionné et tout et tout, mais si tu t'imagines qu'il va me laisser faire autre chose que ce qu'il aura décidé, tu te trompes.

“Mais, je le connais ! Il est parfaitement loyal à l'Empereur !

Premièrement, tu crois le connaître. Tu sais ce que ton père t'en a dit, c'est tout. Deuxièmement, tu as raison, il est certainement loyal à l'Empereur. Mais je peux te garantir que pour lui, je ne suis pas l'Empereur. Il pense peut-être que je pourrai le devenir. Mais pour le moment, je suis un petit garçon qu'il va falloir éduquer. Exactement comme ton père pense sans doute qu'Ambar pourra devenir un Ksantiri, à condition de l'éduquer. Troisièmement, il y a une chose qu'il ne me laissera jamais faire : rentrer chez moi.

Niil avait l'air troublé, peiné.

“Tu veux t'en aller?

“Niil, mes parents sont certainement fous d'inquiétude. Ils croient sans doute que j'ai fait une fugue, ou qu'on ma enlevé, ou même que je suis mort ! Ils me manquent, à moi aussi. Bien sûr que je retournerais chez moi si je pouvais. Et j'aurais vraiment de la peine de vous quitter, toi et Ambar. Si je pouvais, j'irais les voir et je reviendrais. Mais ça n'arrivera pas.

“Mais pourquoi ? Les Passeurs vont sans doute trouver un moyen d'aller jusque chez toi. Après tout, tu es bien venu jusqu'ici !

Ça ne se fera pas, parce qu'Aldegard et ses collègues m'empêcheront de partir. Je ne comprends pas bien pourquoi, mais ils ont besoin de moi et ils ne me lâcheront pas.

“Alors, qu'est-ce qu'on va faire ?

“Pour l'instant, on va aller se coucher. Ambar dort debout et moi, je suis crevé. Tu veux bien dormir avec moi ?

“Bien sûr !

“Moi aussi, je peux ?

Ambar avait peut-être sommeil, mais pas au point de se désintéresser des choses importantes !

“Si tu promets de ne pas ronfler...

“Je ne ronfle pas !

“Non, sans doute pas... Allons, il est temps de faire le dernier pipi du soir. Tu ne voudrais pas mouiller mon lit ?

“Je ne pisse pas non plus au lit !

Pendant un instant, Ambar eut l'air vraiment choqué qu'on pût le soupçonner d'une tare aussi infâme. La fatigue émoussait son sens de l'humour. Mais en même temps, l'indignation dissipait un peu sa torpeur et il se rendit compte qu'on le faisait marcher.

“Mais, reprit-il avec son habituel sourire coquin, ça fait si longtemps que je vais peut-être essayer cette nuit, rien que pour voir l'effet que ça fait.

“Pas question ! Je ne t'accepte dans mon lit que si tu vas pisser d'abord.

“Je veux bien, mais j'ai peur, tout seul, le soir. Tu veux bien me tenir la main ?

Son interprétation du bambin de quatre ans terrorisé était était d'autant plus remarquable qu'elle s'accompagnait d'une expression absolument lubrique.

“Je te vois venir. Ça n'est pas la main que tu veux qu'on te tienne. On n'a pas le temps.

“Pas le temps de faire pipi ?

“D'accord, je t'accompagne.

“Tu m'aides à enlever mon lakh ? Je ne voudrais pas l'éclabousser.

Julien constata avec une brusque sensation de vide au creux de l'estomac que les Marques, qui brillaient doucement comme une peinture argentée dans la lumière tamisée du clos, rehaussaient encore, si une telle chose était possible, la beauté d'Ambar.

“C'est joli, hein ? Et tu as vu ? Il y en a une qui s'enroule jusqu'au bout de mon zizi. Comme pour Niil.

Julien avait effectivement remarqué cette intéressante particularité chez le maintenant ''frère aîné'' lors de ses jeux sous la douche.

“C'est tout à fait fascinant. Bon, tu viens faire pipi maintenant ?

“Tu ne veux pas voir de plus près, d'abord ?

Un instant, la pensée que Tannder puisse être en train de les épier faillit lui faire cesser le jeu. Mais il fallait choisir : ou Tannder était loyal, et il tiendrait sa parole, ou c'était un sale individu, et ses conseils n'avaient aucune valeur. Et si c'était le cas... alors Julien pressentait que sa vie deviendrait extrêmement difficile. Il revit en pensée le visage honnête de Tannder et décida qu'il lui faisait confiance. De toute façon, il n'avait guère le choix. C'était ça ou vivre avec le sentiment d'être un rat de laboratoire.

“Allez, regarde !

Le moyen de résister à une telle invitation ! Julien s'agenouilla alors qu'Ambar lui mettait sous le nez le phénomène à observer. Le jeune galopin était maintenant plus réveillé que jamais. Niil, assis à quelques pas de là, observait la scène et s'amusait beaucoup.

“Et ça va jusqu'au bout de la peau, mais pas en-dessous. Regarde.

Poursuivant sa démonstration, Ambar fit glisser son prépuce nouvellement orné, découvrant la cerise brillante effectivement dépourvue de toute Marque. Julien avait soudain une furieuse envie de goûter ce fruit qui se tenait là, à portée de ses lèvres. C'était terriblement troublant. Comment pouvait-il avoir une idée aussi saugrenue ?

“Ah ! Elle est toute raide maintenant. C'est ta faute aussi... Il va falloir que tu fasses quelque chose. Je ne vais pas pouvoir pisser comme ça.

En fait, il semblait bien que la même idée traversait aussi l'esprit retors d'Ambar qui venait, d'un brusque mouvement des hanches, de réduire la distance avec les lèvres de Julien au point que celui-ci devait maintenant loucher pour ne pas perdre de vue ce qu'il était soudain bien décidé à goûter, en dépit de toute son éducation passée. C'était peut-être dégoûtant au dernier degré, de mettre la bite d'un garçon dans sa bouche, mais ce garçon, c'était Ambar. Et Ambar était assurément ce qu'il y avait de plus beau au monde. Ambar était beau. Ambar était aimable. Ergo, toutes les parties d'Ambar étaient belles, bonnes et aimables.

Bien sûr, dans la fraction de seconde qu'il lui fallut pour se décider, il n'eut pas conscience d'un quelconque raisonnement, il se contenta d'approcher ses lèvres d'abord pour un baiser timide puis, encouragé par une poussée discrète il laissa, littéralement, Ambar s'introduire dans sa bouche.

Immédiatement, il perdit toutes ses appréhensions. Loin d'être écœurante, l'expérience le ravit absolument. Même le léger goût vaguement salé laissé par les dernières gouttes séchées deux heures auparavant lui était étrangement agréable. C'était comme s'il partageait là une touchante intimité, infiniment personnelle et attendrissante. En quelques secondes, il prit possession de cette chair qui s'offrait sans hésitation, éprouvant une bizarre impression d'en voir avec sa langue les moindres détails, jusqu'à ce que son nez vînt se nicher dans cette petite dépression du pubis, juste au-dessus du pénis, respirant jusqu'à s'enivrer le léger parfum sui-generis, frais et infiniment troublant qui était en quelque sorte la signature unique de l'aimable petit faune.

Ce pénis dans sa bouche semblait avoir été créé tout exprès pour se nicher là, confortablement, établissant entre eux un contact tout à la fois essentiel et voluptueux. Car, merveille des merveilles ! Julien s'aperçut que les caresses qu'il prodiguait à Ambar avaient en lui comme un écho profond, étrange. Le plaisir qu'il donnait était aussi, d'une façon incompréhensible, son plaisir à lui. Et il découvrait, enchanté, que ce plaisir qu'il donnait lui était plus précieux que celui qu'il pouvait recevoir.

Les mains oisives sont, paraît-il, les instruments du démon. Aussi est-ce sans doute la Vertu triomphante qui souffla à Julien d'utiliser les siennes et d'apporter aux testicules dans leur sac doux et tiède leur lot de saine stimulation.

Élève décidément doué, il comprit très vite la façon d'amener son jeune partenaire jusqu'au point où perdant tout contrôle, celui-ci poussa furieusement son modeste sceptre de jade et le laissa palpiter sur la langue d'un Julien comblé.

Ambar était à la fois poli et reconnaissant. Et alors qu'il n'avait pas encore vraiment repris sa respiration et que son pénis encore raide se trouvait toujours dans la bouche de son ami, il souffla :

“Merci.

Ce qui poussa Julien, tout aussi bien élevé à abandonner, bien à contre-cœur, ce qui était momentanément devenu le centre de son univers pour répondre :

“À ton service.

Le rire de Niil les ramena au présent.

“Maintenant qu'Ambar a obtenu ce qu'il voulait, tu devrais le faire pisser avant qu'il ne lui vienne d'autres idées.

Julien se redressa, il s'était changé et portait un laï blanc d'intérieur, sans rien dessous et d'une finesse quasi-arachnéenne. Son érection était d'autant plus évidente qu'elle s'accompagnait d'une tache humide, témoin irréfutable d'une excitation prolongée. Niil rit de nouveau et poursuivit :

“Et quand Ambar aura fait couler sa petite fontaine, j'ai l'impression qu'il va falloir que je me dévoue pour résoudre un autre problème.

Ambar fit couler sa petite fontaine... délicieusement, entre les doigts attentifs de Julien. Une fontaine curieusement odorante, sans doute du fait d'un mets qui, comme les asperges sur Terre avait la particularité de parfumer l'eau de qui le consommait. Mais c'était ici une odeur sucrée, un peu semblable à la giroflée.


Finalement, ce ne fut pas Niil qui eut l'honneur d'initier Julien aux joies d'une fellation experte. Ambar, certainement mû par un sens du devoir proche de l'abnégation, insista pour opérer lui-même, sur un lit. Julien, si le déluge de sensations qui déferlaient de son bas-ventre lui en avait laissé le loisir, aurait pu se sentir quelque peu humilié par la prestation du gamin. Celui-ci paraissait connaître intimement chaque terminaison nerveuse et en jouer avec une absolue maîtrise. Eût-il conservé la faculté d'une pensée cohérente, il aurait aussi pu se demander d'où son innocent petit elfe tirait une telle science, mais l'heure n'était pas aux spéculations. Il avait bien fait une tentative pour se saisir de la queue de Niil qui se tenait assis en tailleur près de lui, mais il avait dû rapidement abandonner ses caresses maladroites, incapable qu'il était de résister aux distractions prodiguées par Ambar.


Il s'endormit comme une masse après un orgasme d'une grande violence, laissant Ambar s'affairer avec entrain sur son grand frère.


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Chapitre 32


Le Pacte des Haptirs


Ce fut l'envie d'uriner, que l'épuisement l'avait empêché de satisfaire, qui le tira du sommeil au beau milieu de la nuit. Il se leva, s'extrayant des membres enchevêtrés de ses compagnons de lit et, lorsqu'il revint s'allonger auprès d'eux, il fut rejoint par Xarax. On pouvait rêver d'une peluche plus douce, mais lorsque celui-ci posa sa tête contre la joue de Julien, ce n'était pas pour réclamer sa part de câlins. En fait Xarax saisissait l'occasion pour parler un peu de choses importantes.

Il y a longtemps, le peuple de Xarax a conclu un accord avec les humains : les Haptirs les laisseraient libres d'aller sur un tiers du Monde de Kretzlal, mais les humains devaient promettre de ne pas intervenir dans les affaires de Haptirs. Il n'y aurait aucun contact entre les deux peuples. Les hommes ont besoin des plantes qui poussent sur Kretzlal. Les Haptirs n'ont pas besoin des hommes. Les humains pourraient faire beaucoup de mal aux Haptirs pour les chasser de Kretzlal, mais les Haptirs pourraient en tuer beaucoup et rendre l'existence vraiment très difficile pour les autres.


Quand les Haptirs ont conclu le Pacte, mon peuple a fait présent d'un œuf à l'Empereur Yulmir. De cet œuf, est né Xorh, le Premier Haptir de l'Empereur. Quand un Haptir naît, il est entouré de tout son Clan et on lui offre immédiatement toutes sortes de choses à manger, de sorte qu'il s'habitue tout de suite à cette diversité. Ainsi, durant les premiers jours de son existence, il grave dans sa tête et dans son corps une image de son monde.


Pour le Haptir de l'Empereur, c'est différent : quand l'œuf éclot, il est seul avec l'Empereur et la seule nourriture qu'il reçoit, c'est quelques gouttes de son sang que l'Empereur a enrichi avec le Yel, l'énergie autour de lui. Un lien se crée entre eux. Pour le haptir, l'Empereur est à la fois son père et sa mère et il ne peut se nourrir que de son sang enrichi. Pour l'Empereur, le Haptir est un peu comme une extension de lui-même : il détient la clé de bon nombre de ses pouvoirs.


Tout cela dure depuis plus de sept mille cycles, et c'est la garantie du Pacte entre nos deux espèces. Plus tard, Xarax t'en dira plus, mais pour l'instant, tu en as appris assez.


Il faut aussi que tu saches, petit Julien, que Xarax te connaît depuis bien plus longtemps que tu ne te souviens de ce corps. Tous les Haptirs de l'Empereur n'ont pas toujours été heureux du rôle qu'ils avaient à remplir, et certains ont préféré... vivre moins longtemps plutôt que de continuer. Mais Xarax t'aime depuis qu'il a ouvert les yeux sur le monde. Et Xarax croit que, même si tu ne t'en souviens plus, tu aimes aussi Xarax.


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