Chapitre 68


Négociations


“ Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ?”

La question d'Ambar, lâchée ainsi après dix minutes de promenade uniquement meublée par le bruit croissant du vent qui forcissait, prit Julien au dépourvu.

“ Qu'est-ce que tu veux dire ?”

“ Qu'est-ce qui va se passer, pour Dillik ? Xarax ne peut pas rester ici, près de lui. Il va devoir partir avec toi quand on s'en ira.”

“ Xarax est libre. Je ne vais pas l'obliger à me suivre s'il n'en a pas envie.”

“ C'est très gentil de ta part, mais il ne peut pas se nourrir, sans toi. D'ailleurs, je trouve ça...”

“ Moi aussi, je trouve ça révoltant. Crois-moi, si je pouvais y changer quelque chose, je n'hésiterais pas. Mais ça n'est pas moi qui ai fait que ce soit comme ça. Du moins, je ne m'en souviens pas. Mais si Xarax veut rester sur Dvârinn, on peut toujours s'arranger pour qu'il vienne me retrouver, ou que je fasse un saut jusqu'ici quand il en aura besoin. Ça n'est pas très difficile.”

“ Ça m'étonnerait que Xarax accepte de te quitter. Je commence à le connaître un peu, moi aussi.”

“ Tu as raison.”

“ Et moi, je sais qu'à la place de Dillik...”

“ J'ai bien été obligé de te quitter un moment.”

“ Oui, mais tu n'y pouvais rien, ni moi non plus. Tu avais été carrément chassé du R'hinz. Sans ça, tu ne m'aurais pas laissé, hein ?”

“ Non. Mais ça risque d'être dangereux.”

“ Ça, je m'en fiche. Et je crois que pour Dillik et Xarax, c'est la même chose. Il faut qu'on trouve un moyen d'emmener Dillik avec nous.”

“ Sa mère ne va certainement pas être de cet avis. Et, maintenant que j'y pense, ça m'étonnerait aussi que son père soit vraiment enchanté par l'idée. Niil va se faire accuser d'enlèvement d'enfant !”

“ De toute façon, si on n'emmène pas Dillik, Xarax n'aura plus la tête à ce qu'il fait. Et là, ça risque d'être vraiment dangereux.”

“ Bon. On a quelques jours pour trouver une solution.”

“ C'est dommage qu'il fasse aussi froid dans ce monde, non ? Sur Nüngen, c'est mieux.”

Le champion du coq-à-l'âne venait encore de sévir.

“ Il fait sûrement plus chaud vers le sud. Mais pourquoi est-ce que tu trouves que c'est mieux sur Nüngen ?”

“ Ben... les vêtements, ici... c'est pas vraiment pratique.”

“ Ambar ! Tu ne va pas me dire que tu as des envies de folâtrer ici, par ce froid ?!

“ Quelle idée ! Tu ne penses vraiment qu'à ça. Mais tu vois, c'est bien ce que je disais. Sur Nüngen, avec un abba ou un laï... Ici, rien que pour pisser, il faut une demi-heure.”

“ C'est parce que tu n'as pas encore l'habitude des boutons.”

“ C'est vrai. D'ailleurs, je sens que j'ai envie de pisser, là. Ça doit être le froid. Tu m'aides, pour les boutons ?”

“ Je ne peux pas. Tannder me gronderait. Ce serait comme si je t'aidais à faire tes exercices de calcul. Tu n'apprendrais jamais.”

“ Oui, mais c'est pressé, et si tu ne m'aides pas, je risque de faire pipi dans mon pantalon. Tu ne voudrais pas que tout le monde se moque de moi, quand même ?”

“ Évidemment, si c'est pour t'éviter une humiliation publique... Mais, ne vas pas t'imaginer des choses.”

“ Je vois même pas de quoi tu parles.”

“ Tant mieux. À ton âge, je ne savais pas non plus. Enfin... Pas vraiment.”

À genoux devant Ambar qui tenait écartés les pans de son caban, Julien s'affairait sur la braguette ''à pont'' qui semble être une caractéristique universelle de la mode navale et qu'on retrouve aussi sur les lederhosen bavarois. Ce ''truc qu'il faut une demi-heure pour défaire'' était en fait remarquablement conçu et n'utilisait que quatre boutons particulièrement faciles à manier. Le sous-vêtement, d'une blancheur virginale, comportait une fente judicieusement placée aussi bien conçue que celle de n'importe quel caleçon de grand luxe et qui n'offrait à l'intrusion de doigts, même moyennement habiles, qu'une résistance purement symbolique. Aussi le sang neh d'Ambar, déployant dans toute leur grâce les volutes de ses ornements argentés, se dressa-t-il bientôt dans la lumière pâle et l'air glacial du matin.

“ Je vais pas pouvoir pisser comme ça. Il faut que tu fasses quelque chose.”

C'était l'invitation quasi-rituelle de la plupart des matins.

“ Oh, tu crois ? Je pense que si tu reste un moment comme ça, dans ce petit vent vivifiant, ça va s'arranger tout seul.”

“ Monstre ! Il risque de geler ! Il paraît que ça commence par devenir tout bleu, et puis tout noir, et après, ça tombe ! D'ailleurs, je commence à sentir le froid. Je serais toi, je ferais quelque chose très vite. Je sais pas, moi... tu pourrais peut-être souffler dessus, pour le réchauffer. Ou même... je crois qu'il est déjà trop tard pour ça. Il faut le tenir vraiment au chaud, et à l'abri des courants d'air.”

“ Je vais le prendre dans ma main.”

“ Pas question ! Du dois avoir les mains toutes froides, comme ça, sans gants. Il va falloir que tu le mettes dans ta bouche. ”

“ Tu plaisantes ! Qu'est-ce que les gens vont penser ?”

“ Il se diront que tu es vraiment admirable, prêt à tout pour sauver un ami dans la détresse.”

“ Bon, mais c'est vraiment parce que c'est une urgence. Ne vas surtout pas penser que je fais ça par plaisir.”

“ Oh ! Ben non, voyons ! Faudrait vraiment avoir l'esprit mal tourné pour imaginer une chose pareille !”


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Pendant que d'autres s'adonnaient aux plaisirs innocents de la promenade, Niil exécutait sa part d'un plan conçu dès avant leur voyage.

“ Maître Dendjor, auriez-vous l'obligeance de me montrer votre brevet de capitaine ?”

Un peu surpris d'une telle requête, le père de Dillik s'absenta quelques minutes et revint déposer devant Niil une sorte de grosse médaille de métal bleuté et fut franchement stupéfait lorsque le jeune Sire Ksantiri posa par-dessus une médaille semblable par la taille, mais d'un métal blanc nacré. Après quelques secondes, l'ensemble se mit à luire distinctement d'une lumière jaune pâle alors qu'apparaissaient à la surface de la médaille de Niil quelques lignes d'une écriture minuscule que le marin n'avait pas besoin de déchiffrer pour en deviner la teneur. C'était un Mandat Impérial requérant pour celui qui en était porteur l'assistance dont il aurait besoin pour une mission dont il n'était même pas tenu de révéler la nature exacte. Évidemment, ce n'était pas le genre d'objet qu'on s'attendait à voir utiliser par un personnage encore imberbe.

“ Noble Sire, je suis à votre disposition.”

“ D'abord, Honorable Dendjor, puisqu'il semble que nous allons travailler un moment ensemble, j'aimerais que vous m'appeliez simplement Niil. Vous pourriez être mon père, et vous aviez l'estime de Sire Ylavan. Je ne vous montre ce certificat que pour que vous puissiez être certain que les demandes que je vais vous faire ne sont pas le caprice d'un petit Noble mal élevé. Vous n'êtes donc pas ''à ma disposition'', mais je vous serais personnellement reconnaissant de m'aider dans ma mission.”

“ Très bien, je vous remercie. Et maintenant, que puis-je faire pour vous ?”

“ Je vais d'abord vous expliquer ce que moi, je suis chargé d'accomplir, et vous me direz ensuite de quelle façon vous pouvez m'aider.”

Lorsqu'il eut exposé son projet, Dendjor résuma ce qu'il avait compris de l'affaire :

“ En somme, vous voulez que je vous aide à récupérer un trésor pour le compte de l'Empereur. Ce trésors est gardé par un le Neh kyong de la cité morte de Tchenn Ril, mais ça n'est pas un problème parce que ce Neh kyong est un allié de l'Empereur. Enfin, ce trésor est destiné à financer une compagnie de commerce qui fournira de l'aide aux familles des marins péris en mer. C'est bien ça ?”

“ Euh... en gros, oui.”

“ Bien sûr, vous vous rendez compte que ce que vous me racontez est complètement absurde.”

“ Naturellement. Pour commencer, qui pourrait croire que l'Empereur s'abaisse à se mêler de ce qui relève à l'évidence de l'administration ksantiri ? À moins, bien sûr, que cette administration n'ait été détournée de son devoir par un gestionnaire plus soucieux de sa propre gloire que du bien public.”

“ Niil, vous n'insinuez pas que Sire Ylavan...”

“ Il ne s'agit pas de Sire Ylavan, qui était son fidèle Miroir. L'Empereur s'est récemment penché sur les raisons du manque d'amour, voire de simple respect, des citoyens pour le Noble Sire administrateur de Ksantir et il a décidé qu'il était temps d'intervenir, dans la mesure permise par les Lois et Traditions des Neuf Mondes.”

“ Est-ce que je dois comprendre que votre Noble Frère, Sire Nandak, n'a pas été admis à succéder à son père en tant que Miroir ?”

“ Mon noble Frère a effectivement décliné cet honneur, qu'il estimait trop lourd pour ses épaules. Il a aussi décidé de confier à son puîné, le Noble Sire Nekal, qui le remplaçait momentanément à Ksantir, la gestion du domaine de Zer Trang que vous avez peut-être aperçu si vos voyages vous ont amené à croiser au nord du cercle polaire. Quant à moi, ayant bénéficié d'une promotion totalement imméritée au rang de Conseiller Privé...”

“ Conseiller Privé... de l'Empereur ?”

“ Euh... oui, effectivement. J'ai décidé de renoncer pour l'instant à revendiquer quelque rôle que ce soit sur Dvârinn et de garder auprès de moi mon plus jeune frère afin d'assurer son éducation grâce à l'aide d'un tuteur de la Maison Impériale, l'honorable Tannder, qui m'a permis d'amener avec moi, pour cette petite expédition, un autre de ses pupilles, l'Honorable Karik, qui doit actuellement se promener sur les quais avec Tenntchouk. Je comprend que tout ça soit un peu difficile à assimiler, mais vous verrez, quand on y réfléchit un moment, tout devient parfaitement logique.”

“ Si vous le dites...”

“ J'en suis certain. Mais pour l'instant, j'ai besoin d'aide. En fait, un capitaine de trankenn, habitué à commander et à prendre rapidement les bonnes décisions aurait droit à toute ma reconnaissance.”

“ Présenté comme ça, je peux difficilement refuser, mais il ne faudra pas vous offenser si je cherche à en apprendre plus sur la situation. Ça n'est jamais une bonne chose de cacher des informations au capitaine d'un vaisseau.”

“ Vous avez parfaitement raison aussi, avant de nous mettre au travail, je dois vous dire que le patron, dans cette histoire, ce n'est pas moi.”

“ Non, j'avais bien compris, nous travaillons pour l'Empereur.”

“ Oui, mais ici, pour ce qui nous intéresse, on peut dire sans se tromper que l'Empereur, c'est l'Honorable Jeune Maître Anhel. Je suis directement à son service, et vous aussi, si vous acceptez de m'aider.”

“ Niil, vous me semblez être quelqu'un d'honorable et sensé. Vous m'êtes vraiment sympathique et je suis tout prêt à faire de mon mieux pour vous aider. Mais, vous ne trouvez pas que vous exagérez un peu ?”

“ Je sais que plus je vous en dit, moins vous avez envie de me croire. Mais songez tout d'abord qu'un Mandat Impérial ne peut pas s'acheter ni se contrefaire. Il porte la Marque de Yulmir apposée directement par lui-même, et mon nom y est expressément gravé. Si c'est moi qui suis ici plutôt qu'une troupe envoyée par le nouveau Miroir, c'est que l'Empereur a une bonne raison pour procéder ainsi. Si l'Empereur m'accorde sa confiance, vous pouvez peut-être essayer de me donner une chance de mériter la vôtre, non ? Autre chose, Anhel insiste pour être traité comme il l'a toujours été dans cette maison, c'est à dire comme un bon ami de la famille, sans plus. C'est à moi que vous vous adresserez si vous avez des décisions à soumettre. Enfin, vous remarquerez que je n'ai fait mention ni de salaire, ni de récompense. C'est parce cette entreprise est uniquement destinée à aider ceux qui en ont vraiment besoin. Chacun fournit ce qu'il peut sans rien attendre en retour. Je suis sûr que vous serez content d'apprendre que le nouveau Miroir, Sire Tahlil, des Rent'haliks, fait don de son Trankenn Premier comme vaisseau amiral de la compagnie. Évidemment, les frais de location des chariots et des animaux de trait sont pris en charge par la Cassette impériale. Est-ce que cela vous satisfait ? Ou avez-vous besoin d'un peu de temps pour réfléchir ? Si c'est le cas, ne vous gênez pas, nous ne sommes pas trop pressés. Après tout, pour nous, c'est un peu des vacances.”

“ Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Comme vous me l'avez rappelé, un capitaine doit décider rapidement. Laissez-moi deux jours pour mettre tout en place et je crois pouvoir vous garantir une opération discrète. Je suppose que je peux faire confiance à Gradik et Tenntchouk ? Ils semblent être au mieux avec le jeune Maître.”

“ Vous pouvez leur faire confiance.”

“ Alors, je ne pense pas devoir mettre qui que ce soit d'autre dans la confidence. Je vais les envoyer louer deux chariots dans un hameau à trois heures d'ici et nous pourrons les retrouver après-demain sur la vieille route de Tchenn Ril. Ça évitera les commentaires inutiles. Mais si c'est possible, j'aimerais avoir une conversation avec Maître Anhel quand il rentrera.”


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“ Niil dit que vous désirez me parler, Maître Dendjor ?”

“ Si vous en avez le temps, oui, s'il vous plaît.”

Dans le petit salon familial, Julien s'installa dans le fauteuil que lui désignait le marin.

“ Voilà, Sire Niil vous a certainement informé de la conversation que nous avons eue.”

“ Effectivement, et je suis heureux que vous ayez décidé de nous aider.”

“ C'est vrai. Mais je dois vous dire que quelque chose me gêne dans toute cette affaire.”

“ De quoi s'agit-il ?”

“ Voyez-vous, je suis peut-être plus instruit que bien des gens, mais je suis un homme simple, au fond. Je n'aime pas beaucoup les mystères et je me suis toujours méfié de ceux qui se font passer pour autre chose que ce qu'ils sont.

“ Eh bien, vous avez au moins le mérite d'être direct !”

“ Ça m'a parfois valu des ennuis, mais dans l'ensemble, je m'en suis toujours plutôt bien tiré.”

“ Venez-en au fait, s'il vous plaît.”

“ Eh bien voilà. Je sais déjà que vous êtes vraiment quelqu'un d'important, sans quoi Sire Niil n'aurait pas pu exhiber un Mandat Impérial. Je sais aussi que vous êtes déjà passé par ici et que mon fils ne jure que par vous. Je n'ai rien contre, en principe, mais maintenant, je me demande s'il est tellement bon de le laisser fréquenter un personnage de votre importance alors qu'il croit que vous n'êtes qu'un apprenti forgeron. Pour ce que j'en sais, des relations qui ne sont pas basées sur une certaine franchise, sans parler d'une relative égalité de condition, peuvent apporter bien des malheurs.”

“ Vous avez sans doute raison. Et c'est pourquoi j'avais justement l'intention de vous parler. Mais vous m'avez pris de vitesse. Vous êtes un homme intelligent, et Niil m'assure qu'on peut vous faire confiance. Je vais essayer de dissiper vos craintes, mais j'espère que vous avez l'esprit large, parce que ce que j'ai à vous dire risque de vous surprendre.”

“ Dites toujours.”

“ D'abord, je crois que votre fils vient de se faire un autre ami, beaucoup plus étrange que moi. Vous serez sans doute content de savoir que cet ami n'a ni l'intention, ni la possibilité de se faire passer pour autre chose que ce qu'il est. Je peux aussi vous assurer, pour autant que ma parole ait du poids pour vous, que c'est quelqu'un d'une fidélité et d'une loyauté absolues. D'ailleurs, je pense que le mieux est de faire venir Dillik. Mes explications seront plus claires.”

Dillik, qui s'employait à dresser la table dans la grande salle de l'auberge, fut aussitôt invité à les rejoindre. Dès que la porte fut refermée, il sentit la tension qui régnait dans la pièce et son visage pâlit soudain. Julien lui fit signe d'approcher et lui prit la main.

“ Tout va bien, Dillik. Il faut seulement que je donne quelques explications à ton père. Maintenant, je voudrais que tu appelles Xarax. Comme je le connais, il n'est sûrement pas très loin.”

Après une brève hésitation, l'enfant appela d'une voix qui trahissait son trouble.

“ Xarax ?”

Le haptir surgit lentement de derrière le coffre orné qui le dissimulait et sauta sur son épaule. Maître Dendjor fit preuve d'un remarquable sang-froid. À le voir on aurait juré qu'un haptir sur l'épaule de son fils était une chose banale.

“ Maître Dendjor, poursuivit Julien, je vous présente l'Honorable Xarax, Haptir et Ami de l'Empereur. C'est aussi maintenant l'ami de votre garçon. Et je vous prie de croire qu'ils se sont trouvés sans me demander mon avis.”

“ Père, intervint Dillik, Xarax voudrait faire connaissance avec toi. Il dit que si tu tends ta main, ça ne prendra qu'un tout petit instant. Il dit aussi que puisque tu es le père de son ami, ton honneur est le sien, tes amis sont ses amis, et tes ennemis peuvent commencer à trembler. Approche ta main, s'il te plaît.”

Dendjor se prêta sans frémir au rituel et laissa Xarax enrouler quelques instants sa langue bleue autour de son doigt.

“ Honorable Père de mon ami. Je jure de protéger votre fils au prix de ma vie. Je vous supplie de ne pas nous séparer. Je sais que l'Empereur se fera un devoir de pourvoir à ses besoins et à son instruction. Je suis certain aussi qu'il fera en sorte que votre famille puisse continuer à profiter de sa joyeuse présence.

“ Honorable Haptir, l'amitié que vous semblez avoir pour Dillik est un honneur pour toute ma famille mais, si vous le permettez, j'aimerais avant tout entendre ce que le Jeune Maître a à me dire.”

“ Eh bien vous savez presque tout. Xarax est le Haptir de l'Empereur. Vous en avez sans doute entendu parler.”

“ J'ai toujours cru que c'était une légende. Les haptirs ne quittent jamais leur monde.”

“ C'est exact. Xarax est la seule exception, à ma connaissance.”

“ Et je pense que vous allez me dire ce que fait le Haptir de l'Empereur dans l'auberge de ma femme.”

“ Il accompagne celui qu'il est chargé de protéger.”

“ Vous prétendez que l'Empereur est ici ?!”

“ Euh... Pour autant que je sache, oui.”

“ Et où se cache-t-il, s'il vous plaît ?”

“ Père ! Arrête. C'est lui, l'Empereur.”

“ Quoi ?!”

“ C'est vrai ! Xarax me l'a dit. Il me l'a même montré. Et Xarax ne ment pas, c'est un Haptir de Kretzlal !”

“ Votre fils dit vrai. Xarax ne ment jamais. Il peut sans doute lui arriver de cacher des choses, mais il est totalement incapable de mentir.”

Comme Dendjor le regardait, partagé entre l'indignation et l'incrédulité, Julien poursuivit :

“ Comprenez-moi ! Si j'étais arrivé comme pour une visite officielle, je n'aurais pas eu un moment de paix. Et on aurait pu dire adieu à la discrétion pour l'affaire qui nous occupe. C'est pour ça que je ne porte pas de Marques, mais si c'est absolument nécessaire pour vous convaincre, je vous les montrerai quand on sera loin d'ici. Et ne me regardez pas comme ça. Hier, vous me trouviez sympathique, je crois. Eh bien, je n'ai pas changé. Et j'aimerais que votre attitude envers moi ne change pas. Ça n'a pris qu'une demi-heure à Dillik, de s'y faire. Vous devriez pouvoir faire aussi bien, non?”

“ Sans doute... Sire.”

“ Anhel, ou Jeune Maître, s'il vous plaît.”

“ Comme vous voudrez. Mais...”

“ Oui ?”

“ Pardonnez-moi, mais j'ai l'impression que quelque chose n'est pas...”

“ Si vous avez l'impression de ne pas connaître toute l'histoire, rassurez-vous, c'est bien le cas, et je compte bien vous en raconter plus quand nous nous connaîtrons mieux. Mais ce que je vous ai dit jusqu'à présent est la stricte vérité. Bien sûr, je vous laisse juge de ce que vous devez dire à Maîtresse Nardik.”

“ Elle voudra surtout savoir ce qui va arriver à son fils.”

“ Eh bien, j'ai été un peu pris au dépourvu, mais voici ce que je vous propose : Dillik m'accompagnera et habitera près de moi, ce qui permettra à Xarax de continuer de faire son devoir sans être troublé par la séparation d'avec son ami. Dillik recevra toute l'éducation que son intelligence et son goût pour l'étude nécessiteront. Je suis certain que l'Honorable Tannder, qui supervise les études d'Ambar et de Karik ne refusera pas de se charger aussi de votre fils. Dillik pourra venir visiter sa famille autant qu'il lui plaira et que ses études le lui permettront. Il disposera pour ça des services d'un Passeur aussi souvent que nécessaire. En fait, il sera moins séparé de sa famille que s'il devait aller étudier dans une bonne école de Ksantir. D'ailleurs, je vous suggère d'expliquer son absence de cette façon.”

“ Je vois qu'on s'est efforcé de prévoir un maximum de choses. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'être mal à l'aise. En fait, on vient me prendre mon fils. On déclare que c'est pour son bien et on me dit que tout est déjà arrangé et prévu. C'est un peu difficile à admettre et, même si j'ai le plus grand respect pour le Haptir Impérial, je trouve qu'on agit avec légèreté envers nous.”

Dillik était atterré. Tout à son bonheur, il ne s'était pas attendu à voir son père défier ainsi l'autorité de l'Empereur lui-même.

“ Père...”

Julien l'interrompit avant qu'il ne dise des choses qu'il aurait pu regretter.

“ Dillik, c'est une question entre ton père et moi. Ici, tout le monde veut ce qu'il y a de mieux pour toi. Maître Dendjor, je comprends parfaitement votre réaction et j'aurais certainement la même si j'étais à votre place. Je tiens à vous assurer que c'est vous, et personne d'autre, qui déciderez de ce qui va se passer. Mais laissez-moi d'abord vous exposer complètement mon point de vue. Xarax est un élément absolument irremplaçable de ma fonction. Sans lui, il y a bien des choses qui me seraient impossibles. Autrement dit, j'ai beaucoup plus besoin de lui que Dillik. Normalement, Xarax n'est pas censé s'attacher à quelqu'un d'autre que moi. En fait, je crois bien qu'aucun haptir n'a jamais éprouvé ce que nous appelons de l'amour pour qui que ce soit. Son espèce connaît des sentiments, mais pas ça, pas... enfin, je ne vais pas vous apprendre ce que c'est. Mais il se trouve que nous avons récemment dû vivre, lui et moi, une épreuve qui nous a rapprochés à tel point que j'ai bien peur, comme il dit, d'avoir laissé quelque chose de moi dans son esprit. C'est une façon polie qu'il a de dire que je l'ai ''contaminé''. Un moment, j'ai eu peur qu'il ne m'en veuille, mais il m'assure qu'il est parfaitement heureux comme ça et qu'il ne voudrait surtout pas changer. Il m'aime toujours, mais pas de la même façon qu'il aime Dillik. C'est ce qu'il m'a dit et je le crois. Il m'a aussi assuré que si je le voulais, il accepterait de ne revoir Dillik que de temps en temps ou même plus du tout, si c'était vraiment indispensable. Mais je crains que Xarax ne comprenne pas encore très bien ce qui lui est arrivé. Je sais que je n'aimerais pas du tout, moi, être séparé de quelqu'un que j'aime vraiment. Je suis sûr que ça m'empêcherait de fonctionner correctement. Le problème, c'est que lui et moi devons rester ensemble. Je ne peux pas le remplacer. Et je n'en ai d'ailleurs pas envie. Et il ne peut pas me quitter très longtemps. Ou alors, il faut qu'il se mette dans une sorte d'état d'hibernation. Je pense aussi, en dehors de l'amitié que j'ai pour Dillik, qu'il faut que ces deux-là restent ensemble. J'ai absolument besoin d'un haptir heureux. Je vous prie aussi de réfléchir au fait que Xarax est, depuis sa naissance, complètement coupé de ceux de son espèce. On ne peut pas simplement lui conseiller d'aller se chercher un ami sur Kretzlal. Et je soupçonne qu'on ne sait même pas ce qu'est un ''ami'', sur Kretzlal. En dehors de ça, il y a aussi le fait que votre garçon semble vraiment aimer Xarax. Ne me demandez pas comment c'est possible. Et j'ai peur qu'il ne soit lui aussi très malheureux si on devait les séparer. C'est pourquoi je vous ai fait cette proposition. Vous pouvez la refuser. Mais je vous demande alors de me proposer une autre solution.”

“ Je me demande comment je vais expliquer ça à mon épouse... Il reste une dernière question. Qu'est-ce qui se passera si Xarax se lasse de Dillik ?”

Julien se tourna vers Xarax, toujours juché sur les épaules de l'enfant.

“ Xarax, il ne parle comme ça que parce qu'il ne te connaît pas. Et il est naturel qu'un père s'inquiète de ce genre de chose. Il n'a aucune intention de t'insulter. Je sais, moi, que ça ne risque pas d'arriver. Mais pour répondre à votre question, Maître Dendjor, le statut de Dillik auprès de moi resterait le même, quoi qu'il arrive. Il continuerait d'être traité en hôte et pupille de ma Maison. De plus, à moins de se livrer à des actes particulièrement odieux, il resterait mon ami.”

“ C'est une offre honnête, et je commence à mieux comprendre la situation.”

“ J'ai une dernière requête. J'aimerais que Dillik se joigne à notre petite expédition. Ça évitera à Xarax de faire le va-et-vient entre Kardenang et Tchenn Ril.”

“ Au point où nous en sommes, je ne crois pas que ça puisse lui faire grand mal.”


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