Chapitre 2


Des us et des coutumes


L'inspection du klirk n'apporta rien de nouveau. Le disque de métal gris refusa obstinément de faire quoi que ce soit. Aussi Niil les conduisit-il, vers une autre lisière du bois d'où l'on pouvait voir, à une centaine de mètres, une sorte de grande villa romaine toute blanche, sans étage, avec un toit de céramique bleue.

“ Attends-moi ici.

Niil partit au petit trot, franchit le portail et disparut pour un temps qui parut interminable à Julien qui transpirait abondamment et dut chercher refuge à l'ombre des arbres. Il revint enfin, portant sous son bras le vêtement promis.

“ Voilà. Pardonne-moi d'avoir mis si longtemps, mais j'ai rencontré Izkya et je lui ai expliqué ce qui t'arrive.

Une paire de sandales accompagnait le vêtement et, une fois Julien présentable, les deux garçons marchèrent de conserve jusqu'à la maison. Les quelques ouvertures qu'on apercevait à l'extérieur étaient fermées par des claustras, ces dentelles de pierre ajourée qu'on trouve en Inde ou dans certains pays d'Afrique du nord. Un porche s'ouvrait au milieu et ses portes de métal noir, ajourées elles aussi, donnaient sur un jardin intérieur où l'on entendait le chant clair d'une fontaine.

Alors qu'ils s'engageaient sous la voûte de l'entrée, une jeune femme souriante vint à leur rencontre. Vêtue d'une simple robe bleue, ses cheveux bruns torsadés en un haut chignon, elle arborait sur son visage l'entrelacs bleu pâle des Marques d'une Noble famille. S'inclinant légèrement, elle s'adressa directement à Julien :

“ Niria, intendante de la maison d'Izkya, s'honore d'accueillir l'hôte de sa Noble Maîtresse.

Julien, un peu interloqué, fut immédiatement tiré d'embarras par Niil :

“ Niria, soyez gentille, ne nous obligez pas à ,employer le Haut Parler à la maison. Et j'aimerais que Julien partage mon clos, s'il vous plaît.

Quittant le langage formel qu'elle avait employé pour les accueillir, Niria désigna de la main une porte qui s'ouvrait sous la voûte :

“ Cela ne prendra qu'un instant. Juste le temps de boire un verre de raal frais avec Izkya. Si vous voulez bien entrer.

La pièce fraîche et claire ouvrait sur une galerie couverte qui donnait sur le patio. Elle était décorée d'arrangements floraux et d'une grande tenture à motifs géométriques bruns et bleus. Sur un tapis, une table basse de bois sombre, entourée de quatre sièges bas, portait un plateau de métal blanc où attendaient quelques verres et une carafe emplie d'un liquide doré.

Une file brune entra. Elle pouvait avoir treize ou quatorze ans. Son visage, orné des Marques vert et or de sa Famille, s'éclairait d'un sourire et ses yeux sombres pétillaient d'intelligence.

“ Izkya, dit Niil, je te présente Julien, qui vient vraiment d'ailleurs. Julien voici Izkya, Fille Première des Bakhtars.

“ Sois le bienvenu chez moi Julien. Tu es ici mon hôte autant que celui de mon cousin. Si tu as besoin de quoi que ce soit, demande-moi.

Julien hocha la tête, Il aurait eu besoin d'un tas de choses, à commencer par une douche fraîche et un moyen de rentrer chez lui. Il se contenta de sourire.

“ Merci, c'est très gentil à toi. J'espère que je ne dérange pas tes parents.

“ Oh... Non, tu ne déranges personne. Ici, tu es chez moi. Le Premier sire et sa Dame ne vivent pas ici bien sûr. Ils demeurent dans la Tours des Bakhtars.

Puis Izkya, en hôtesse consommée, servit à chacun un verre de la boisson dorée, fraîche, qui se révéla être une sorte de cidre, délicatement parfumé et légèrement pétillant.

Julien ne put s'empêcher de faire un commentaire.

“ C'est vraiment délicieux. Qu'est que c'est ?

“ C'est du raal, expliqua Izkya, et je dois dire que nous produisons sans doute le meilleur de la région. C'est idéal lorsqu'on a vraiment soif.


oo0oo


C'est alors que Niria revint, invitant les garçons à s'installer dans leurs quartiers et à se rafraîchir avant le repas. Ils la suivirent, en passant par la galerie, jusqu'à une vaste chambre où deux lits avaient été installés et recouverts d'une sorte de courtepointe dont les motifs bruns et bleus rappelaient la tenture du salon. Au chevet des lits, deux coffres de bois étaient destinés à leurs vêtements. Sur un grand tapis couvrant presque toute la surface entre les lits, une table basse et deux fauteuils complétaient le mobilier. Une arche donnait sur une pièce ronde où un bassin octogonal, décoré de mosaïque verte s'enfonçait dans le sol de marbre, alors qu'une niche munie d'un écoulement suggérait qu'on pouvait y prendre une douche. Cette salle d'eau était éclairée par cinq étroites meurtrières donnant sur le jardin. À l'opposé, une porte entrouverte laissait apercevoir ce qui devait être un cabinet de toilette. Une grande fenêtre rectangulaire aérait la chambre. Fermée par une claustra, elle donnait sur la galerie et un rideau pouvait être tiré pour assurer l'intimité. Lorsqu'ils furent de nouveau seuls, Niil ouvrit le coffre et en tira une sorte de djellaba blanche et une paire de sandales tressées.

“ Voilà un laï, c'est la tenue qu'on porte d'habitude à l'intérieur. J'ai le même dans mon coffre. On va pouvoir se laver et se changer.

Et joignant le geste à la parole, il se débarrassa de son vêtement, qu'il fit disparaître dans un orifice du mur jusque-là caché par un panneau pivotant.

“ On met les vêtements sales là-dedans.

Malgré sa gêne, Julien se déshabilla. Il se sentait d'autant plus nu que Niil était en quelque sorte vêtu de ses Marques argentées qui ne couvraient pas seulement son visage, mais aussi une bonne partie de son corps. Fils unique, il n'avait pas tellement eu l'occasion de voir ses congénères dans leur plus simple appareil. Ni les louveteaux, ni les scouts n'encourageaient vraiment le naturisme et la France, puritaine malgré Mai 68 et fondamentalement catholique, préférait laisser sa progéniture dans une bienheureuse ignorance des turpitudes génésiques. Quelques séances de piscine lui avaient bien permis, dans la promiscuité humide d'une cabine partagée, de jeter un regard furtif sur le zizi d'un camarade, mais sa seule véritable référence en la matière demeurait son propre corps, avidement contemplé dans le miroir de l'armoire de sa chambre et source, depuis quelque temps, d'étranges et coupables émois. Inconscient du trouble qu'il suscitait, Niil s'employa à lui monter le fonctionnement de ce qui était bien une douche puis, tout en examinant sans se cacher le moins du monde l'anatomie de son compagnon :

“ C'est vraiment incroyable, à part les Marques, on est vraiment pareils.

Rougissant jusqu'aux oreilles, Julien s'autorisa à baisser, lui aussi, son regard vers les attributs de Niil, qui, en effet, ressemblaient fort aux siens pour ce qui était de la taille, de la conformation générale et même pour l'étui de peau qui en couvrait l'extrémité et qu'il aurait été bien en peine de nommer ( on ne discutait sûrement pas de prépuce, ou de quoi que ce fût de vaguement approchant cette région, dans une famille honnête ). Par contre, Julien devait reconnaître que sa... bite ( il lui était même difficile de penser un mot d'une telle vulgarité, mais il n'en avait guère d'autre; sa queue peut-être ? ), sa queue donc ne s'ornait pas de cette jolie vrille argentée qui agrémentait celle de Niil. S'efforçant de parler d'une voix normale, il posa la question qui s'imposait :

“ Ces Marques, c'est vraiment beau. C'est un tatouage ? On t'a fait ça quand tu étais petit ?

“ Bien sûr que non ! Les tatouages, c'est pour les sans-famille. Les marques, on les a en naissant. Mais il faut les révéler. Ça prouve que tu appartiens bien à ta Noble Famille. Si ça se trouve, tu en as et tu ne le sais même pas.

“ Ça m'étonnerait. Chez moi, on n'a même jamais entendu parler de tout ça.

“ Tant pis, ça ne fait rien. Et je trouve que tes cheveux sont très beaux. Je suis sûr que n'importe quelle Noble Dame serait prête à tuer pour en avoir de pareils. Mais il va falloir que tu les coupes, tu ne peux pas te promener comme ça.

“ J'aimerais mieux attendre un peu. On ne sait jamais, peut-être qu'on va trouver un moyen de me renvoyer chez moi.

Saisissant un linge doux qu'il mouilla et sur lequel il versa une sorte de savon liquide qui se mit aussitôt à mousser en répandant un fort parfum de fleurs, Niil proposa :

“ Tu veux que je te frotte le...

Julien préférait ne pas savoir ce qu'on voulait lui frotter.

“ Non, non, merci bien. Je sais me laver tout seul.

Malgré l'air légèrement désappointé de Niil, Julien s'empara du tissu et entreprit de s'enduire de savon. Mais son compagnon avait apparemment une idée bien arrêtée de la façon de partager une douche et une minute plus tard, il tendit à Julien un autre tissu de toilette :

“ Sois gentil, frotte-moi le dos, s'il te plaît.

À moins de se montrer brutalement grossier, il ne pouvait que rendre ce menu service. Mais caresser le corps de ce garçon si pareil à lui-même, fût-ce pour le savonner, ne pouvait manquer de produire un effet aussi importun que difficile à dissimuler dans de telles circonstances. Il eut beau essayer de réciter mentalement et à l'envers la table de multiplication par sept, il se vit bientôt affligé d'une érection, charmante certes, mais qui n'allait pas tarder à devenir une effroyable source d'embarras. Il tenta bien de s'appliquer à nettoyer chaque centimètre carré de cette peau hâlée, faisant durer la chose dans l'espoir d'un retour miraculeux à une innocente flaccidité, mais le sort est cruel, parfois. C'est l'inverse hélas qui se produisit, et Niil, lorsqu'il se retourna, put contempler un doigt rose, tendu, palpitant, découvrant peu à peu son œil pourpre et fendu, traître à son maître et l'accusant de coupable lascivité.

Cependant, après la première demi-seconde d'agonie, Julien, dont le regard, évitant à tout pris la confrontation directe, se tournait vers le sol où ruisselaient les bulles parfumées ; Julien dont le seul vœu était de disparaître dans l'orifice où s'écoulait l'eau tiède, de se dissoudre à tout jamais dans les égouts de ce monde étranger ; Julien put enfin voir qu'il n'était pas le seul à réagir et, levant avec précaution les yeux, il put même constater que Niil affichait un air hautement satisfait.

“ C'est formidable, on est vraiment pareils ! Même si mon sang né est un peu plus petit que le tien.

Totalement pris à contre-pied, Julien se contenta de marmonner une dénégation polie et s'exécuta sans broncher lorsque Niil lui demanda de se tourner afin qu'il puisse lui rendre le même service. Puis, une fois dûment rincés, Niil remplit d'eau fraîche le bassin où ils s'installèrent côte à côte.

L'eau n'était pas assez froide pour diminuer si peu que ce fût leur turgescence, mais la chose semblait n'avoir plus la moindre importance et l'attitude décontractée de Niil commençait à déteindre sur le petit Français complexé. Il se laissait même aller à se caresser machinalement, tout en écoutant le bavardage de celui qu'il commençait à considérer comme un copain.

“ Tu sais, Izkya va certainement vouloir qu'on aille faire un tour à Aleth, ce serait dommage d'être ici et de ne pas en profiter. C'est quand même la plus belle cité des Neuf Mondes. Je pense qu'on pourra te trouver un abba d'Affilié.

“ Qu'est-ce que c'est ?

“ Eh bien, Izkya et moi, on voit tout de suite qui on est, à cause de nos Marques et de nos vêtements. Et on ne peut pas se promener comme ça avec n'importe qui, ça attirerait trop l'attention. Alors le mieux, si tu es d'accord, ce serait que tu t'habilles comme mon personnel. Tu ne pourrais pas être celui d'Izkya, même si on t'habillait en fille, et ce serait facile avec tes cheveux...

Julien tourna brusquement la tête, prêt a répliquer vertement à l'insulte, mais s'arrêta lorsqu'il vit l'étincelle de malice dans l'œil de Niil qui reprit.

“ Ça n'est pas bien difficile de te faire courir hein ? Non, tout le monde la connaît et on sait qu'elle n'en a pas. Il faut que tu passes pour le mien. Moi, je ne suis pas d'ici.

“ Mais c'est quoi, un Affilié ?

“ C'est un sans-famille de ton âge qui s'occupe de toi.

“ Tu veux dire une sorte de… serviteur ?

“ Si on veut, c'est plus compliqué que ça. Un personnel vit tout le temps avec son Noble Frère ou sa Noble Sœur. Il reçoit pratiquement la même éducation. Il lui tient compagnie, il s'occupe de lui.

“ Tu en as un, toi ?

“ Non, mes parents sont contre. Et si j'en avais un, il serait ici en ce moment, à ta place.

Julien allait répondre qu'il serait ravi de cet arrangement lorsque retentit ce qui ressemblait à un coup de gong.

“ Le repas est servi, il faut y aller.

Ils quittèrent le bassin et se séchèrent rapidement avant d'enfiler leurs robes blanches, qui se portaient de toute évidence sans aucun sous-vêtement, ce qui ne laissa pas d'inquiéter Julien, moins sûr que jamais des réactions du traître qui guettait entre ses jambes. Mais si Niil pouvait s'en accommoder... Il chercha aussi en vain un peigne et dut se contenter de ses doigts pour se coiffer tant bien que mal.

“ On demandera à Niria de te trouver un peigne. Il n'y a que les filles qui s'en servent, les garçons ont les cheveux courts.

“ Rasés, tu veux dire. Les miens ne sont pas longs; c'est seulement qu'ils ne veulent pas tenir en place.

“ Oh si, ils sont longs ! Un Noble Fils ne les porterait jamais comme ça. Mais si tu passes pour mon personnel, ça na pas d'importance. Au contraire même, les gens n'aiment pas qu'un personnel essaie trop de ressembler à son Noble Frère.


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