Chapitre 3


Aleth



Izkya les accueillit à l'entrée du salon où était dressée une table pour trois et même Julien, pour qui les filles étaient d'ordinaire une engeance au mieux bizarre, au pire insupportable, remarqua combien les fins dessins vert et or de ses Marques rehaussaient sa beauté naturelle. Le repas était, comme on pouvait s'y attendre dans une telle demeure, absolument délicieux. En fait, la cuisine d'Aleth ressemblait assez à la cuisine chinoise, dont Julien raffolait, avec ses viandes coupées en petits morceaux et ses saveurs aigre-douces. On se servait, pour manger, d'un instrument qui rappelait une pince à sucre dont le maniement ne posait heureusement pas de problème, contrairement aux baguettes qu'il avait mis un certain temps à apprivoiser. Lorsque chacun se fut déclaré incapable de reprendre de quoi que ce soit, Izkya proposa :

“ Si vous voulez, on peut faire un tour en ville. J'ai fait porter un abba pour Julien.”

Les garçons retournèrent donc à leur clos afin de se changer. Au grand soulagement de Julien, Niil produisit deux sous-vêtements du genre caleçon à cordon puis enfila un vêtement gris clair orné au bas d'une frise rouge sombre au motif compliqué.

“ C'est un lakh. La bordure est réservée à ma Famille. Il faut avoir les Marques des Ksantiri pour en porter un.”

Puis tendant à Julien une sorte d'ample robe vert bouteille à manches longues :

“ Ça, c'est un abba de personnel. La couleur n'a pas d'importance, mais je suppose que Niria a dû la choisir pour aller avec ta magnifique chevelure.”

Comme son sourire désarmait toute répartie, Julien s'abstint de relever la pique et se laissa docilement vêtir; et il n'était pas simple d'ajuster les plis élégants que serrait à la taille une large ceinture bleu nuit. Mais un coup d'œil dans un miroir lui confirma que le résultat en valait la peine. Il avait fière allure.

“ Voilà, tu as presque l'air respectable. Mais... Oh, je n'avais pas remarqué tes yeux !”

“ Qu'est-ce qu'ils ont, mes yeux ?”

“ Il sont... Ils sont beaux. Ils sont verts, avec des sortes de paillettes gris-bleu. C'est vraiment...”

“ Tu sais, je n'y suis pour rien.”

“ Peut-être, mais c'est beau quant même.”

“ C'est l'habitude, ici, que les garçons se fassent des compliments ?”

“ Qu'est-ce que tu veux dire ?”

“ Ben, chez moi, c'est plutôt les filles qui disent des choses comme ça.”

Ce fut au tour de Niil d'avoir l'air embarrassé.

“ Oh... Je te demande pardon si je t'ai offensé.”

“ Offensé ? Non, au contraire. C'est très gentil de ta part. Alors, je peux te dire que toi aussi, tu es vraiment beau, dans ton lac ?”

“ Pas lac, lakh, corrigea un Niil rosissant, en insistant sur le kh guttural.”


oo0oo


Ils retrouvèrent Izkya dans le patio et celle-ci les mena de l'autre côté de la demeure où coulait une petite rivière canalisée. Un canot était amarré à un quai de pierre et lorsqu'ils y eurent embarqué, Izkya choqua profondément son hôte en sifflant bruyamment dans ses doigts. Mais Julien faillit bien laisser échapper un cri lorsqu'en réponse, une chose aquatique et énorme émergea, sans une éclaboussure, trente centimètres à sa gauche et le fixa d'un œil qui lui parut gigantesque. Izkya siffla derechef, en modulant le son cette fois et la créature disparut. Un instant plus tard, le canot s'écartait doucement du quai pour entrer dans de paisible courant. Julien comprit qu'il s'agissait de l'équivalent aquatique d'un pousse-pousse et que l'animal qu'il avait aperçu tirait maintenant l'embarcation.

Il faisait toujours aussi chaud, mais Julien constata avec plaisir que le vêtement qu'il portait semblait générer une fraîcheur agréable, même sous les rayons féroces d'un soleil encore très haut dans le ciel en fusion. Il avait rabattu sur sa tête la capuche de son abba et pouvait maintenant oublier sa crainte des coups de soleil que n'aurait pas manqué de lui valoir son teint de rouquin.

Leur promenade avait commencé dans un paysage de parc privés qui devaient abriter de riches villas, pareilles à celle d'Izkya, mais peu à peu ils étaient entrés dans une zone plus urbaine où alternaient maisons privées et bâtiments d'allure officielle, tous construits dans la même pierre blanche et souvent ornés de gravures et de sculptures d'une rare élégance. Ils débouchèrent enfin sur un fleuve qui s'élargissait en une sorte de vaste lac et accostèrent à un quai où étaient amarrés, outre de nombreuses embarcations semblables à la leur, quelques vaisseaux ressemblant à de grosses péniches et qui devaient servir au transport de marchandises.


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Ils débarquèrent et Julien se trouva pour la première fois en contact avec la population d'Aleth. Les gens qui circulaient sur le quai et dans les rues alentour formaient une foule colorée et bruyante qui surprenait après l'impression de calme qui avait dominé depuis son arrivée. Des enfants couraient en se poursuivant au milieu des badauds qui se pressaient aux étals des marchands. L'air était plein d'odeurs étranges, certaines plaisantes, d'autres, beaucoup moins. Des braseros entourés de quelques tables abritées du soleil par des tauds de toile proposaient à l'appétit des passants d'odorantes brochettes. Des éventaires de fruits et d'épices répandaient leurs parfums entêtants.

“ Noble Sire ! Noble Sire ! Un talek pour manger !”

Un jeune garçon, qui pouvait avoir au plus une dizaine d'années, s'accrochait à l'abba de Julien. Ses cheveux blonds coupés ras faisaient à son crâne rond et bronzé comme un casque de lumière dans le soleil. Il n'était vêtu, si l'on peut dire, que d'une sorte de pagne bleu en loques, mais relativement propre, ainsi d'ailleurs que le reste de sa personne. Mais Julien n'avait ni taleks, ni diraks, ni aucune des autres monnaies ayant cours dans les Neuf Mondes. D'ailleurs, le gamin n'avait pas l'air particulièrement famélique. Embarrassé malgré tout, Julien allait se tourner vers Niil pour lui demander s'il n'aurait pas quelque monnaie, lorsque celui-ci s'adressa directement à l'enfant :

“ Si tu as faim, va chez Batürlik et dis-lui que tu es le bienvenu de Niil, Fils Troisième des Ksantiris.”

Le Gamin resta bouche bée pendant dix bonnes secondes, avant de se reprendre pour toucher du bout des doigts la sandale de son bienfaiteur.

“ Noble Sire, que ta bonne action apporte la paix et le bonheur sur ta Noble Famille. Je suis Ambar fils d'Aliya, du Quai aux Fruits. Demande, et je viendrai.”

“ Je sais ton nom, Ambar fils d'Aliya. Si je demande, tu viendras.

Sur quoi, l'enfant partit en courant et disparut dans une ruelle semblable à une dizaine d'autres qui formaient un dédale où, pourtant, Izkya et Niil ne semblaient pas en peine de se diriger. Avant que Julien n'ait eu le temps de commencer à poser les questions qui se bousculaient dans sa tête, Izkya entreprit de lui expliquer la scène à laquelle il venait d'assister.

“ Quand tu viens pour la première fois en visite sur un monde, la coutume veut que tu choisisses un bienvenu. En général, c'est quelqu'un de très pauvre. Tu l'envoies chez un correspondant de ta Famille ou chez un commerçant connu et il se présente de ta part. Là, on lui donnera à manger et des vêtements comme à quelqu'un de la maison. Il pourra même habiter avec le personnel s'il n'a pas de maison. À partir de ce moment, c'est ta Famille qui le prend en charge. Ça n'est pas grand chose, mais on dit que ça porte chance.

“ C'est la première fois que Niil vient ici ?”

“ Non, répondit celui-ci, mais avant, j'étais toujours avec quelqu'un de ma Famille. Ça ne compte pas.”

“ Alors tu n'as jamais choisi un... bienvenu ?”

“ Non.”

“ Et pourquoi tu l'as choisi, lui ?”

“ Je ne sais pas. Pourquoi pas ? Il avait l'air... Non, je ne sais pas.”

“ Et qu'est-ce que ça veut dire '' Si tu demandes, je viendrai'' ?”

“ Dans le temps, la coutume voulait qu'on puisse exiger d'un bienvenu qu'il vous aide, même si c'était très dangereux. Seulement, si tu demandais un service à l'un de tes bienvenus, il devenait membre de ta Noble Famille, juste un rang au dessous de toi. Mais maintenant, ça n'existe plus. Personne ne demanderait un service à son bienvenu.”

“ Et là, tu l'as envoyé chez qui ?”

“ Chez Batürlik. C'est un fournisseur de ma Famille.”

“ Mais, ce Batürlik, comment il saura que c'est vraiment toi qui l'as envoyé ?”

“ Comment ça ?”

“ Ben... Je ne sais pas, mais n'importe qui pourrait venir et dire '' je suis le bienvenu d'untel...''”

Niil et Izkya s'arrêtèrent si brutalement que Julien fit encore deux pas avant de s'arrêter lui-même et de se retourner. Ils le regardaient d'un air absolument consterné.

“ Ben quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?”

“ Personne ne ferait ça, expliqua la jeune fille, il faudrait être fou. Si quelqu'un osait essayer une chose pareille, il serait découvert avant la fin de la journée.”

“ Et... qu'est-ce qui lui arriverait ?”

“ On l'enverrait dans la Grande Forêt, sur Tandil.”

“ Et alors ?”

“ C'est plein de choses très dangereuses.”

“ Je vois.”

Julien s'efforçait de ne rien manquer du spectacle qui s'offrait. Ils quittèrent bientôt le grouillement pittoresque du port pour entrer dans un quartier cossu où de belles maisons bourgeoises abritaient, selon Izkya, des boutiques que signalaient seulement de discrètes enseignes gravées sur leur façade. Les promeneurs étaient aussi moins bruyants et leurs vêtements étaient d'une sobre élégance. Beaucoup arboraient les Marques d'une Noble famille.

Soudain, comme ils tournaient à l'angle d'une rue, Julien découvrit un espace immense, si vaste que les bâtiments, de l'autre côté, semblaient tout petits. L'endroit était revêtu de dalles aux formes irrégulières, parfaitement polies, d'une infinité de nuances de couleur et apparemment toutes différentes, bien qu'il soit difficile d'en juger.

“ Qu'est-ce que c'est que ça ?”

“ Ça, dit Niil avec un petit sourire satisfait, c'est le Palais de l'Empereur.”

Julien écarquilla les yeux.

“ Où il est, le palais ?”

Niil tendit le bras vers le centre de l'espace.

“ Là, devant toi.”

“ Sous terre ?”

“ Non, non, au dessus.”

“ Mais il n'y a rien !”

“ Si, mais on ne peut pas le voir.”

“ Tu veux dire que c'est un palais invisible ?”

“ Oui.”

“ Tu me fais marcher.”

“ Quoi ?”

“ Tu essaies de me faire passer pour un idiot.”

“ Non, je t'assure.”

Julien lança un regard vers Izkya, mais celle-ci avait la mine tout aussi sérieuse que son compagnon.

“ Mais comment tu peux être sûr qu'il existe bien, ce palais, si personne ne peut le voir ?”

“ On le voit une fois tous les vingt-trois cycles.”

“ Et c'est long, un cycle? Tu as quel âge?”

“ Moi ? Douze cycles quatre neuvièmes.”

Il semblait qu'un cycle corresponde plus ou moins à un an terrestre.

“ Vous l'avez déjà vu ?”

“ Non, mais on le verra dans deux cycles. En attendant, on peut en voir des images. On te montrera quand on rentrera chez Izkya.”

De nombreux passants tout autour d'eux marchaient en se parlant doucement, mais nul ne paraissait vouloir s'aventurer sur les dalles polies. Tous marchaient sur la large voie qui faisait, semblait-il le tour de l'immense surface multicolore. Naturellement, Julien voulut savoir pourquoi.

“ C'est interdit de marcher sur la place ?”

“ Non, répondit Izkya, mais personne ne le fait.”

“ Pourquoi ? Ce n'est pas... correct, convenable ? Ça ne se fait pas, c'est ça ?”

“ Non, c'est simplement qu'on ne peut jamais faire plus de quelques pas dessus sans en sortir. Tu as l'impression de marcher droit devant toi, mais en réalité, tu fais demi-tour et tu ressors.”

“ Tu as déjà essayé ?”

“ Bien sûr.”

“ Et toi, Niil ?”

“ Moi aussi.”

“ Je peux essayer ?”

“ Si tu veux. Mais j'aimerais mieux qu'on attende un moment où il y aura moins de monde. Parce que quand un visiteur essaie de marcher sur l'Aire du Palais, les gens s'arrêtent pour voir sa tête et rire un bon coup. Ça risquerait d'attirer un peu trop l'attention. Mais je te promets que tu pourras essayer. Peut-être ce soir, en rentrant.”

Julien aurait bien voulu faire tout de suite l'étrange expérience, mais il fallait reconnaître que l'objection de Niil était fondée.

Après quelques minutes, Izkya les conduisit à une vaste avenue, ombragée d'arbres qui ressemblaient à des platanes avec leur écorce tavelée de vert et d'argent et leurs larges feuilles dentelées. Dans l'ombre agréable, de petits étals étaient dressés de loin en loin où l'on proposait toutes sortes de boissons fraîches et quantité de fruits et autres friandises. Cependant, malgré l'activité qui régnait, la foule n'avait pas ce côté bruyant et un peu vulgaire qu'elle avait sur le port. Elle évoquait au petit parisien les promeneurs du jardin des Tuileries par un beau jour d'été.

Des enfants couraient en poussant une balle, ou faisaient cercle autour de l'un d'eux qui lançait une grosse toupie bariolée et zonzonnante ; d'autres se poursuivaient pour s'asperger avec de grandes seringues remplies d'eau dont les jets faisaient, dans la lumière, comme des arcs de diamants. De curieux animaux gris qui ressemblaient à un croisement de chat et d'écureuil, couraient parfois d'un trait entre les jambes des passants amusés pour passer d'un arbre à un autre où ils grimpaient sur quelques mètres avant de s'arrêter, à l'affût d'on ne savait quoi. Des oiseaux, pareils à des pigeons verts dotés d'une huppe blanche, picoraient les graines que leurs jetaient distraitement les passants et poussaient de temps en temps un petit cri flûté qui sonnait, clair et détaché, dans le brouhaha ambiant. Par endroits, les arbres s'espaçaient et Julien apercevait entre leurs ramures la silhouette de bâtiments beaucoup plus élevés que ceux qu'il avait vus jusqu'ici. Désignant une tour ronde d'au moins soixante mètres de haut, percée d'une multitude d'ouvertures qui devaient être des fenêtres, il interrogea Izkya :

“ Qu'est-ce que c'est ?”

“ C'est la tour des Skandaris.”

“ Merci mais, qu'est-ce que c'est ? C'est une maison ? Des gens y habitent ?”

“ Oui, le Premier Sire des Skandaris.”

“ Et ta Famille, elle a aussi une tour ?”

“ Bien sûr !”

“ Où elle est ? On peut la voir ?”

“ D'ici, non. Mais au bout de la Grande Promenade on la voit.”

“ Et toi Niil, ta famille a aussi une tour ?”

“ Non, chez nous, sur Dvârinn, on n'a pas de tours. On a des trankenns. Et avant que Julien ait pu poser la question, il enchaîna, c'est des grands vaisseaux, très beaux. Les Ksantiris ont le troisième plus beau.”

“ Vous vivez sur des bateaux ?”

“ Pas pendant la saison des tempêtes, mais le reste du temps, oui. Ma Famille en a cent soixante-huit.”

Ça veut dire que ton père est roi ?

“ Il est le Premier Sire des Ksantiris.”

“ Il commande à tout le monde, sur ses îles ?”

“ Si on veut. Il est le Miroir de l'Empereur. C'est lui qui est le Gardien de la Loi et de la Puissance.”

Julien hocha la tête. Il commençait à se rendre compte de la position de ses hôtes. Ils appartenaient à des familles à la fois riches et puissantes, des familles qui gouvernaient sur ces mondes.

“ Et toi Izkya, ton père est aussi Miroir de l'Empereur ?”

“ Oui.”

“ Et il... Julien ne trouvait pas le mot exact, il commande où ?”

“ Il a la charge des Terres de Frühl.”

“ Et c'est où ?”

“ C'est ici. Aleth est la capitale de Frühl. C'est aussi la capitale des Neuf Mondes.”

“ Et l'Empereur, il vit ici, dans son palais invisible ?”

“ Oui.”

“ Et il est invisible, lui aussi ?”

La jeune fille le regarda comme s'il venait de proférer un énormité.

“ Naturellement non, il n'est pas invisible !”

“ Tu l'as vu ?”

“ Non, mais mon père le rencontre régulièrement.”

“ Dans son palais ?”

“ Évidemment !”

“ Comment il fait pour y aller ?”

Les questions continuelles de ce gamin étranger commençaient à mettre sa patience et sa bonne éducation à rude épreuve. Les règles strictes de l'hospitalité voulaient qu'elle se montre aimable avec l'invité de Niil, mais elle en avait plus qu'assez d'expliquer constamment des choses que tout le monde savait.

“ Il passe par un klirk. Maintenant Julien, sois gentil et cesse de poser sans arrêt des questions. Ouvre les yeux, profite de la promenade. Tu veux de la douceneige ?”

Julien, depuis qu'ils de promenaient à l'abri des arbres, avait rejeté en arrière sa capuche. Aussi la rougeur soudaine qui envahit ses joues devant la rebuffade de l'ombrageuse Fille des Bakhtars ne pouvait pas passer inaperçue, ajoutant encore à l'humiliation d'avoir été traité comme un petit garçon. Un petit garçon pénible qui plus est, à qui l'on offre une glace pour le faire taire. Ces glaces, d'ailleurs, ça faisait un bon moment qu'il les avait remarquées sur les étals couverts de givre des marchands de douceneige. Il en avait immédiatement eu une envie folle et avait dû faire des efforts surhumains pour ne pas demander à ses hôtes de lui en offrir une. Pourtant, son amour-propre lacéré ne lui laissait pas d'autre réponse qu'un :

“ Non, merci bien. D'ailleurs, je commence à être fatigué. Je crois que je vais retourner au bateau et vous attendre.”

Comme Izkya, inconsciente d'avoir piétiné la sensibilité du garçon ouvrait la bouche pour répliquer, sans doute, qu'il serait bien incapable de trouver seul son chemin Niil, à qui le désarroi de Julien n'avait pas échappé, intervint avec à-propos :

“ Julien, il faut absolument que tu goûtes la douceneige. Moi, j'en meurs d'envie depuis tout à l'heure, et je voudrais vraiment te faire découvrir ça. Laisse-moi t'en offrir !”

La façon dont il dit cela suggérait sans l'ombre d'un doute qu'on lui ferait de la peine en refusant une offre aussi sincère. Julien saisit au vol l'occasion de sauver la face.

“ Si ça te fait plaisir, alors...”

Il se laissa entraîner jusqu'au plus proche marchand et reçut un petit bol fait d'une matière légère et blanche, empli de ce qu'il croyait être un sorbet bleu dans lequel était plantée une petite spatule. Prudemment, il goûta.

“ Non d'un chien ! Qu'est-ce que c'est ?”

Niil arborait un large sourire satisfait.

“ Ça surprend, hein !”

Pour surprendre, ça surprenait ! Au moment où elle lui était arrivée sur la langue, la mixture avait tout bonnement disparu et laissé place à une bouffée d'air très frais, sucré, et avec un parfum prononcé d'agrumes, genre orange confite, mandarine, cédrat et kumquat. C'était délicieux. C'était désaltérant. C'était rafraîchissant. Et Julien avait bien l'impression qu'il pourrait en manger autant qu'il voudrait sans jamais s'en lasser ni se sentir le ventre trop plein, ainsi qu'il lui arrivait parfois lorsqu'il forçait sur le dessert.

“ C'est incroyable ! Comment est-ce qu'on fabrique ce truc ?”

“ Ça, c'est le secret le mieux gardé de la Guildes des Faiseurs de Friandises.”

“ Il y a d'autres parfums ?”

“ Oh oui, des tas ! Celle-ci est au garel. Se tournant vers le marchand, il déclara négligemment : Sur le compte des Ksantiris, Honorable.”

Puis, après avoir tendu une portion à Izkya, il attaqua la sienne avec un plaisir visible.

Les quelques minutes qui suivirent les amenèrent au bout de l'avenue, dans une zone dégagée où des bâtiments bas alternaient avec de grands espaces de verdure au sein desquels se dressaient des tours de toutes tailles et de toutes formes. Izkya désigna l'une des plus hautes, qui semblait faite de métal poli et avait, dans la lumière chaude de l'après-midi, des reflets de cuivre.

“ Voilà la tour de ma Famille, déclara-t-elle avec fierté.”

Niil, soucieux d'éviter toute question intempestive, compléta :

“ Le Premier Sire des Bakhtars et sa Dame y habitent.”

Julien regardait, bouche bée. La tour n'était pas seulement haute, elle était d'une beauté presque surnaturelle et le métal qui la couvrait, façonné avec un art incomparable, paraissait avoir surgi de terre et poussé comme une plante gigantesque et gracieuse plutôt qu'être le résultat du travail des hommes. D'autres tours se dressaient dans les environs, et certaines étaient plus hautes, mais aucune ne l'égalait en beauté. Des dirigeables évoluaient entre les bâtiments et leurs décorations chatoyantes leur donnaient l'apparence de gros insectes s'apprêtant à butiner une végétation fantastique.

“ C'est vraiment beau.”

“ Il faudrait que tu voies ça au soleil couchant.”

“ À propos, intervint Izkya, il va falloir qu'on retourne à la maison.”

Brusquement, le visage de Julien s'assombrit. Cette allusion au temps qui passait lui rappelait brutalement qu'il n'était pas simplement en vacances, mais bel et bien naufragé sur un monde inconnu.

“ Qu'est-ce que tu as ? Demanda Niil.”

“ Il faudrait quand même que j'essaie de rentrer chez moi. Mes parents vont être morts d'inquiétude si je ne rentre pas ce soir.


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