Chapitre 71


Le procès


Le départ de Dillik n'était pas vraiment du goût de Maîtresse Nardik qui, du coup, devait faire l'effort de se souvenir que Julien n'était pas ce qu'il semblait être pour ne pas devenir franchement désagréable et appeler toute l'opération ''un enlèvement en règle''. Elle ne consentit à retrouver son habituel sourire que lorsque Julien lui proposa de les accompagner et de constater par elle-même les nouvelles conditions de vie de son rejeton. Maîtresse Nardik, dans son numéro de mère possessive, rappelait furieusement à Julien la maman de son copain Z... , le fils trois fois chéri de parents juifs rapatriés d'Algérie, dont les attentions envahissantes avaient plusieurs fois mis le malheureux dans des situations embarrassantes, et il priait avec ferveur pour que jamais l'aubergiste ne croise ses propres parents. Il imaginait avec terreur la scène :

Nardik : “ Ah, Noble Dame, votre Noble Fils s'est conduit de la plus admirable manière avec mon petit Dillik.”

Maman : “ Vraiment ? J'en suis ravie.”

Nardik : “ Il n'a pas hésité une seconde à laisser Dillik partager son lit. Pour un enfant de son âge, c'est vraiment un grand avantage d'être instruit dans ces choses par un jeune homme aussi distingué. Les livres, les cousins, les camarades d'étude, c'est très bien, mais ça n'a vraiment rien à voir avec l'influence d'un garçon vraiment raffiné. Quand je pense que c'est Yulmir lui-même qui...”

“ Julien, tu rêves ?”

La voix de Niil le ramena à la réalité. Il n'avait pas encore eu l'occasion de lui annoncer le vrai motif de ce départ avancé.

“ Pardon, oui, je rêvais.”

“ Aïn dit qu'on peut partir quand on voudra. Tout le monde t'attend dans la salle à manger.”

“ Ils attendront encore un petit moment, j'ai à te parler.”

“ C'est à propos de la visite de Tannder, je suppose.”

“ Oui.”

“ Il a trouvé quelque chose ?”

“ Oui. Il a la preuve que Nandak a assassiné Ylavan.”

“ Très bien. J'en étais certain, mais tu avais raison, j'ai bien fait d'attendre. Maintenant, je vais pouvoir défier ce salaud. Tu ne vas pas essayer de m'en empêcher, j'espère ?”

“ Non. Je t'ai promis que tu ferais ce que tu voudrais. Je te demande seulement d'attendre jusqu'à ce que son procès ait eu lieu. Je peux compter sur toi ?”

“ Oui, je ne ferai rien sans ta permission.”

“ Alors c'est bien. J'ai quelque chose pour toi.”

“ Un cadeau ?”

“ Si on veut.”

Il lui tendit une boîte de bois précieux.

“ Tu peux l'ouvrir tout-de-suite, si tu veux.”

“ Un nagtri !”

“ J'ai pensé que, vu la tournure des événements, ça pourrait t'être utile.”

“ Mais comment est-ce que tu l'as ramené ?”

“ Je l'ai caché dans un des coffres. Tchenn Ril m'a ouvert l'armurerie un moment quand tout le monde était en plein travail. J'en ai aussi un pour Tannder. J'ai laissé les deux qui restaient là où ils étaient. Je ne me vois pas en offrir un à Ambar. Ces trucs sont vraiment mortels, tu sais. D'ailleurs, tu devrais adopter le tien tout-de-suite, ça t'évitera de t'amputer d'une main par mégarde.”

“ L'adopter ?”

“ Oui. Tu le sors tout doucement de sa gaine. Comme ça, oui. Maintenant, tu l'effleures de ton pouce. Sans appuyer ! ”

“ Incroyable ! Il a bu mon sang. Je croyais que c'était une légende.”

“ Il faut croire que non. Maintenant, tu ne crains plus rien, il ne goûtera plus jamais ton sang. Il n'appartiendra non plus à personne d'autre. Mais je t'en prie, garde-le en lieu sûr, je ne veux pas qu'Ambar y touche. Tu n'as aucune idée de la façon dont cette chose tranche n'importe quoi sans le moindre effort. Je pense que même un hatik n'y résisterait pas.”

“ Merci.”

“ Ne me remercie pas, je n'aime pas du tout l'idée que tu doives t'en servir. Tu n'as aucune chance, face à Nandak. Tu le sais ?”

“ Qui t'a raconté ça ?”

“ Personne. Mais je ne suis pas complètement idiot. Bien sûr, Tannder finira le travail, mais moi, j'aurai perdu un ami.”

“ Je ne peux pas rester les bras croisés alors qu'il...”

“ Personne ne te demande de rester les bras croisés. Mais c'est ma faute si tu cours au massacre.”

“ Comment ça, c'est ta faute ?”

“ Si je ne t'avais pas nommé Conseiller pour te garder avec moi, tu ne serais pas majeur, à l'heure qu'il est, et tu n'aurais certainement pas le droit de lancer un défi à cet animal.”

“ Ne dis pas des choses comme ça.”

“ Tu as raison. De toute façon, ce n'est pas le moment de discuter de tout ça, on nous attend pour partir.”


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Maîtresse Nardik ne croisa pas les parents de Julien. En fait, elle ne sut jamais que l'Empereur en titre avait des parents. Par contre, elle eut droit à une visite détaillée du clos impérial et un séjour de trois jours, aux frais de Julien, dans la meilleure auberge d'Aleth pour lui permettre de visiter avec sa fille la Merveille des Neuf mondes et ses boutiques mondialement réputées. Dillik s'installa bien sûr dans le clos de Julien où la place et les lits ne manquaient pas.

Julien, pour sa part, s'en fut immédiatement trouver Aldegard.

“ Aldegard, je viens d'apprendre qu'on a la preuve formelle que Nandak a bien tué son père.”

“ C'est exact, une preuve irréfutable.”

“ Niil va vouloir le défier pour venger son père.”

“ Sans doute. C'est ce qu'il a dit.”

“ S'il se bat contre cette brute, il va se faire tuer.”

“ Rassurez-vous, cela n'arrivera pas.”

“ Voilà enfin une bonne nouvelle. Vous pouvez me dire pourquoi ?”

“ Parce que Niil renoncera à son défi.”

“ Là, vous m'étonnez vraiment ! Et vous pouvez me dire ce qui le fera renoncer ?”

“ Oui, mais cela vous gâcherait la surprise.”

Julien regarda le Premier Sire d'un air perplexe.

“ Dans ce cas précis, je me passerai volontiers de surprise.”

“ Bien sûr. Comme vous voudrez, Sire.”


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Les préparatifs de la séance du Conseil des Premiers Sires de Dvârinn nécessitèrent un temps considérable - quoique la justice terrestre aurait sans doute estimé qu'ils s'étaient faits dans une hâte frisant la précipitation. En effet, ce conseil devait traditionnellement se tenir sur le Trankenn du Miroir de l'Empereur. C'était absurde, si l'on tenait compte du fait qu'un certain nombre d'édifices, solidement bâtis sur la terre ferme auraient pu accueillir l'événement. Mais la Tradition s'établissait sur la nature essentiellement maritime et en grande partie semi-nomade de la culture dvârienne. Tout ce qui était socialement important devait avoir lieu en mer. Cela obligeait à près d'un cycle lunaire - ou neuvième - de ''vacances cérémonielles'' pour éviter le plus fort de la saison des tempêtes, où des vents dignes d'un typhon balayaient les archipels. La navigation était alors réduite à un cabotage en sauts de puce assurant les déplacements absolument indispensables durant les courtes accalmies. Il était bien sûr hors de question d'utiliser le Trankenn Premier des Ksantiris et il fallut donc aménager en catastrophe le Trankenn de Sire Tahlil, qui n'était évidemment pas prévu pour ce genre de cérémonie. Sire Tahlil tenta bien de protester auprès de Julien contre ce délai et, surtout, cette dépense inutile mais, pour une fois, il se heurta de sa part à un refus poli mais ferme d'intervenir.

Julien semblait s'être résigné au fait que son ami s'apprête à risquer sa vie dans un combat inégal et, lorsque son propre emploi du temps lui en laissait le loisir, il assistait volontiers à l'entraînement intensif auquel il s'astreignait. Bien qu'il fût encore loin d'être un expert, Julien pouvait voir que Niil améliorait encore assez sensiblement une technique de combat déjà excellente. À l'évidence, il quittait le domaine de la pure technique pour entrer dans celui, inaccessible à la plupart des combattants, de l'Art du Combat. Mais il était cependant encore bien loin d'égaler la sobre et impitoyable efficacité de Maître Tannder.

Dame Axelia, sa mère, venait aussi parfois assister à une séance d'entraînement. Elle était parfaitement au courant des intentions de son fils, mais jamais elle n'eut une parole qui pût faire croire qu'elle l'approuvait ou le condamnait pour son entêtement à se jeter au-devant du danger. Elle se contentait de regarder, l'air grave, ses pirouettes agiles et mortelles, ses bonds imprévisibles d'un côté à l'autre de la salle d'armes alors qu'il évitait une attaque foudroyante ou qu'il portait lui-même un coup définitif.

Ambar, s'il était inquiet de ce combat qui s'approchait inexorablement, n'avait pas une conscience aussi nette du danger. L'admiration qu'il avait pour celui qui était vraiment devenu son grand frère l'empêchait heureusement d'imaginer qu'il pût échouer. Quant à Dillik, s'il aimait bien Niil et l'admirait au moins autant qu'Ambar, il n'avait pas eu le temps d'établir avec lui des rapports suffisamment étroits pour le distraire de sa relation avec celui qu'il considérait maintenant comme son haptir. La chose amusait Julien qui ne trouvait par ailleurs rien à y redire, Xarax s'acquittant toujours avec le même zèle protecteur de sa fonction auprès de lui.

Dillik avait aussi pris l'habitude de se réveiller au milieu de la nuit et venait rejoindre Ambar et Julien pour le simple plaisir de se réveiller, au matin, entouré d'une tendresse qui pouvait, selon l'humeur du jour, se transformer ou non en une partie de joyeuses galipettes. Il n'était pas rare non plus que Niil sollicite la faveur d'être admis pour la nuit à cette intimité qui leur était devenue à tous plus ou moins indispensable, et lorsque Karik en avait le loisir, l'immense lit commun pouvait alors se transformer en une sorte de tanière où chacun retrouvait pour un temps le sentiment atavique d'être au sein d'une meute.


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Vint enfin le jour du procès. Plus de deux cents premiers sires des Nobles Familles de Dvârinn étaient présents dans la salle aménagée dans le Trankenn Premier des Rent'haliks. L'assemblée était présidée par Tahlil. À côté de lui se tenaient Dame Axelia, Niil et Ambar. Julien, sanglé dans le hatik bleu-vert qu'il avait décidé d'adopter comme tenue de cérémonie et arborant les Marques impériales se tenait un peu à l'écart, sur un siège qui lui permettait de dominer la salle entière. Ses cheveux, plus longs qu'il n'était habituel de les porter, brillaient doucement d'un feu sombre dans la lumière tamisée des luminaires. La plupart des personnes présentes l'avaient déjà ou rencontré, ou aperçu lors des funérailles d'Ylavan et son apparence juvénile ne suscitait plus que quelques commentaires occasionnels. Cependant, chacun attendait avec impatience de voir comment son nouveau Miroir allait gérer la délicate affaire de la Famille Ksantiri et le silence se fit immédiatement aussitôt qu'il toussota pour signaler qu'il allait prendre la parole.

“ Votre Seigneurie, Nobles Premières Dames et Nobles Premiers Sires. Nous sommes ici réunis à la requête de Sa Seigneurie Yulmir afin que le Premier Sire d'une Noble Famille soit sommé de répondre de l'accusation de parricide et assassinat d'un Miroir Impérial. La Tradition exige qu'un homme accusé d'un crime aussi grave se présente devant ses pairs libre et vêtu de ses seules Marques de Famille. Il m'a cependant semblé qu'aujourd'hui, avec l'accord de Sa Seigneurie, et après consultation du grand Maître des Traditions Impériales, une exception pouvait être tolérée.”

Un murmure s'éleva. Les choses s'annonçaient mal si l'on commençait par jeter les Traditions aux orties.

“ Plaise à cette Noble Assemblée retenir un instant ses justes protestations et entendre jusqu'à sa conclusion ce discours liminaire. C'est la façon même dont a été perpétré ce crime qui rend impossible une présentation de l'accusé dans les règles prescrites. En effet, il se trouve que le Sire Nandak, des Ksantiris, est atteint au dernier degré par le mal dont il a fait périr son père. Tout juste transportable, il sera sous peu amené devant cette assemblée sur ce qui est manifestement son lit d'agonie et couvert d'un drap afin de nous épargner l'horreur de la vison de son corps rongé par le poison. Il a été déterminé que, poussé par une ambition démesurée, Sire Nandak avait décidé de passer outre aux volontés de son Noble Père qui tentait de le modérer dans sa folie. En effet, Sire Nandak avait découvert le lieu d'un entrepôt secret datant de l'ère de Tchenn Ril et qui avait échappé aux mesures drastiques prises alors pour éliminer toutes les armes interdites développées et produites par la Famille-dont-le-nom-n'est-plus. Lorsque, malgré les précautions et le secret dont son fils s'était entouré, Sire Ylavan découvrit la chose, il tenta de détourner son aîné de la voie qu'il s'apprêtait, de toute évidence, à suivre. Chacun d'entre nous garde présentes à l'esprit les histoires de ces tentatives pour bâtir des empires à la pointe de l'épée. C'est alors qu'il s'apprêtait à informer l'Empereur lui-même de cette affaire qu'il a opportunément péri. La mort de Sire Ylavan a immédiatement suscité la suspicion, mais la nature du poison utilisé était si inhabituelle qu'il ne put être immédiatement détecté. En effet, Sire Nandak avait eu recours à l'une des substances extrêmement toxiques trouvées parmi les armes découvertes, substance qui ne peut être trouvée nulle part dans la nature et qui est un sous-produit de la fabrication de certaines de ces armes. Le poison a produit son effet foudroyant, pour notre grand malheur, car Sire Ylavan était sans aucun doute un parfait Miroir de l'Empereur et je n'ai pas souvenir que nul ait jamais contesté sa justice ou la sagesse de ses conseils. Mais ce qu'ignorait Sire Nandak, faute d'être instruit dans les Arts Majeurs, c'est l'existence de Tchiwa Nag Zer, la Lumière Noire de Mort. Cette lumière qu'on ne voit pas émane en permanence de ces substances empoisonnées et n'est arrêtée par rien de moins que de très épaisses protections d'une nature bien particulière. Il s'est bien gardé de toucher le poison. Il n'en avait d'ailleurs besoin que d'une parcelle presque invisible et la dose, pourtant minuscule, qu'il a administrée à son Noble Père eût suffi a tuer la population d'une ville entière. Mais il a séjourné dans ce lieu maudit et, malgré toutes les précautions qu'il pensait avoir prises, il a baigné dans la Lumière de Mort et cette lumière l'a lentement, hideusement détruit Elle est aussi en train de détruire peu à peu ceux qui ont eu la folie de s'associer à son projet de conquête. Le Maître d'Armes de Sire Delian, des Gyalmangs, est mort il y a une semaine et Sire Delian lui-même s'est excusé de ne pouvoir venir à cette assemblée. Il semblerait que sa santé, pourtant florissante ait brusquement décliné. Tous ceux qui ont participé à cette entreprise insensée vont périr sans que la Justice Impériale ait à intervenir. Je suis certain que nul, ici, n'est mêlé de quelque façon que ce soit à cette folie et j'ai le plaisir d'annoncer à tous qu'il ne reste plus aucune parcelle de ce poison en circulation et qu'aucune contamination ultérieure n'est à craindre. Le dépôt en question sera traité comme il se doit par les soins de Sa Seigneurie et son accès rendu à tout jamais impossible.”

Ici, Tahlil laissa s'établir un silence d'une bonne minute durant lequel certains, à n'en pas douter, essayaient avec angoisse de se souvenir jusqu'où les contacts qu'ils avaient entretenus avec Nandak les avaient mis en danger.

“ C'est pourquoi, Votre Seigneurie, Nobles Dames et Nobles Sires je conseille à cette assemblée d'abandonner les poursuites pour atteinte majeure à la sûreté des Neuf Mondes à l'encontre de Sire Nandak et de ses éventuels complices. Le crime porte en lui son propre châtiment et, si des innocents périront sans doute, on peut être assuré que les coupables n'échapperont pas à un châtiment d'autant plus terrible qu'il l'auront eux-mêmes attiré sur leur tête. Je précise qu'aucun remède n'existe à ce mal et les meilleurs Maîtres de Santé ne peuvent guère espérer que soulager plus ou moins les souffrances qu'il entraîne.”

Tahlil laissa de nouveau un silence, puis reprit :

“ Pour parler maintenant sans ambages : je recommande l'abandon d'un procès dont la tenue amènerait à faire la lumière sur des erreurs qui sont d'ores et déjà réparées. Pour être plus précis encore : tous ceux qui ont trempé dans cette dégoûtante histoire vont mourir d'une mort atroce. Ceux qui auront par miracle échappé à ce sort parce qu'ils n'étaient pas directement impliqués pourront s'estimer heureux et décider d'éviter à l'avenir de céder à ce genre de tentation. Cela épargnera à notre monde les troubles et les rancœurs qu'une enquête approfondie ne manquerait pas d'amener et évitera à certains de se trouver dans l'affreux dilemme où ils devraient ou bien trahir leurs amis, ou bien se parjurer devant les Envoyés Impériaux. Plaise à sa Seigneurie nous informer de son avis.”

Julien avait consciencieusement répété son petit discours jusqu'à pouvoir le réciter sans même y penser. Mais il fut étrangement ému lorsqu'il s'agit de s'adresser à cette foule d'importants personnages encore sous le choc des dernières révélations.

“ Fidèle Miroir, Nobles Premières Dames et Nobles Premiers Sires, comme l'a si bien montré le Noble Sire Tahlil, une justice immanente semble vouloir nous épargner l'épreuve d'un sinistre procès. Puisque les coupables n'échapperont pas au châtiment, je ne puis que donner mon accord et remercier mon Miroir d'avoir parlé avec sagesse. Qu'on amène ici Nandak.”

Une sorte de civière d'hôpital montée sur roues fut poussée par deux assistants jusqu'au centre de l'espace vide devant julien. Seul son visage était visible mais julien était heureux d'avoir pu le voir un peu auparavant car le choc lui aurait assurément fait perdre ses moyens. La tête du malheureux n'était qu'une plaie, la peau s'en allait par lambeaux laissant apercevoir la chair à vif d'où suintait une lymphe transparente. On entendait distinctement, dans le silence absolu de la salle, la faible respiration stertoreuse annonçant l'agonie.

“ Nandak, vous êtes ici-même déclaré parricide et dépouillé de vos Marques et tous les liens qui vous rattachaient à la Noble Famille des Ksantiris sont immédiatement tranchés. Votre nom sera à jamais maudit et nul ne le portera plus. Vous êtes heureusement sans descendance et personne n'aura donc à supporter la honte de votre crime. Disparaissez maintenant de la vue de cette Assemblée. Je vous remets à la miséricorde des Maîtres de Santé. Votre mort ne sera pas annoncée et votre cadavre sera abandonné en un lieu désert et ignoré de tous.”

On emporta sur le champ la civière alors que Julien se préparait pour le dernier acte important de ce jour.

“ Noble Sire Niil, des Ksantiris, veuillez avancer et vous offrir au regard de tous.

Surpris, et encore sous le choc de ce qu'il venait de voir, Niil mit quelques secondes à réagir. Il se leva et vint se placer là où se trouvait son frère quelques instants auparavant.”

“ Niil, votre Maison est aujourd'hui privée de chef. Sire Nekal, qui aurait pu prétendre à occuper cette charge, est lui aussi en chemin vers une mort douloureuse, quoique méritée. Il aura jusqu'au bout manqué du plus élémentaire jugement et s'est, à l'évidence, laissé entraîner dans ce misérable complot. Sire Niil, Dame Axelia, votre Noble Mère, ayant décliné la succession et votre Noble Père vous ayant officiellement émancipé et reconnu légalement majeur, il semble que vous soyez le seul descendant direct de feu Sire Ylavan à pouvoir occuper la place qu'il a malheureusement laissée vide. Je suis personnellement garant de votre absolue intégrité ainsi que de votre loyauté sans faille. Le destin vous a privé de l'honneur de venger vous-même la mort de votre Noble Père, je vous offre aujourd'hui l'occasion d'accepter celui, bien plus grand, de lui succéder dans le soin qu'il avait de servir son peuple et sa Maison. Si, comme je le souhaite, vous acceptez cette charge, le Miroir Impérial sur Dvârinn vous apportera conseil et assistance et l'Empereur lui-même fera, pour vous aider, tout ce que l'amitié et le bien de ce Monde lui dicteront.”

Julien se leva et regardant l'assistance, il poursuivit :

“ Avant de poursuivre, je demande si quelqu'un dans cette Noble Assemblée conteste le droit du Noble Sire Niil à devenir Premier des Ksantiris.”

Personne ne contesta.

“ Sire Niil, acceptez-vous et l'honneur, et la charge ?”

Niil regarda Julien. Il avait l'air désemparé et il était clair aux yeux de tous qu'il n'avait pas eu le moindre soupçon de ce qui venait de se produire. Mais il se ressaisit rapidement.

“ Votre Seigneurie, l'honneur aussi bien que la charge sont trop lourds pour mes épaules. N'y a-t-il personne d'autre, plus sage, plus digne, à qui vous pourriez confier l'avenir de notre Maison ?”

“ On pourrait peut-être, Sire Niil, en cherchant bien, trouver plus sage que vous. Mais plus digne ? J'en doute. Et votre présente humilité confirme que cette décision est la bonne. Vous faire prier plus longtemps serait de l'orgueil.”

“ Votre Seigneurie a raison, bien sûr. J'accepte avec crainte, et l'honneur, et la charge.”

“ Qu'il soit annoncé à tous que la Noble Maison des Ksantiris a de nouveau un chef ! Premier Sire Niil, longue vie à vous !”

L'assemblée entière reprit le souhait en un vaste rugissement. Et si, parmi toutes ces voix, certaines n'étaient pas aussi enthousiastes que celle de l'Empereur, nul ne sembla le remarquer.


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